Maurice Genevoix

Le 1er novembre, le cercueil de Maurice Genevoix a été porté au Panthéon. Diverses choses ont été rappelées à cette occasion, mais un élément important et significatif a été oublié : Maurice Genevoix et trois autres Académiciens ont fait partie du Comité d’honneur du 42e Congrès universel espérantiste en 1957, à Marseille. Les trois autres étaient Marcel Pagnol, Edouard Herriot, Jules Romain. Source : Honora Komitato, in 42a Universala Kongreso de Esperanto, Marseille, 3a – 10a Augusto 1957 – Congresa Libro, p. 4. Maurice Genevois a fait plus que ça : il a fait partie du Comité d’information sur l’espéranto, dans lequel il a été rejoint en 1962 par Jean Rostand.

Dans une émission de radio, interrogé par Pierre Delaire, le 18 février 1954, il déclare que « l’espéranto est en mesure d’exprimer les nuances les plus subtiles de la pensée et du sentiment… et il ne peut pas porter ombrage aux fidèles des langues naturelle ». Il avait bien compris ce dont il s’agit (information de Christian Lavarenne, 10 novembre 1920).

Le contraste ? Aujourd’hui, l’évidence de l’anglais est devenue telle que je ne peux citer aucun Académicien qui participerait au mouvement espérantiste. Mais je peux citer une toute nouvelle Académicienne qui a écrit des âneries sur le même sujet ! 1

  1. Interview de Barbara Cassin par Vincent Glavieux, La Recherche, 563, novembre 2020.

L’origine scripturaire d’un fantasme antisémite

Les idées monstrueuses inventées pour dire du mal des Juifs sont innombrables. Parmi elles, le thème du « meurtre rituel » qu’accompliraient les Juifs a entraîné pendant longtemps leur assassinat, leur torture, leur envoi au bûcher.

Ce fantasme naît au XIesiècle. Il a un lieu de naissance, l’Angleterre, mais il s’est répandu comme une trainée de poudre en Europe. L’affaire anglaise est de mars 1144, et au XIIesiècle le thème du meurtre rituel se retrouve en Espagne et en France, puis en Italie, il continue à frapper l’Angleterre, et se répand en Allemagne, en Europe centrale et orientale (la documentation est réunie dans Carol Iancu, Les mythes fondateurs de l’antisémitisme, Privat, 2017).

On a cherché diverses origines à ce motif. L’origine antique – Flavius Josèphe parle d’un écrivain égyptien, Apion, qui reprochait déjà cela aux Hébreux – me paraît ne pas avoir de rapport avec la calomnie médiévale : Apion n’est connu que par une source indirecte, et si Flavius Josèphe a raison, l’accusation est isolée. Lorsque cela apparaît en Angleterre, on n’observe aucun lien avec une source antique. Cela paraît une pure invention du XIesiècle, qui est celui où les relations entre juifs et Chrétiens se détériorent, qui voit les premiers massacres de Juifs en Allemagne lors de la première croisade, et précisément cette croisade même paraît avoir joué un rôle dans l’antisémitisme : tournée contre l’Islam, qui a occupé les lieux saints, elle opère une identification entre les non chrétiens extérieurs, l’islam, et les non chrétiens intérieurs, les Juifs.

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Tristesse tchétchène

L’assassin de Samuel Paty était un jeune Tchétchène, réfugié en France, car, depuis la nouvelle guerre allumée par les Russes en Tchétchénie, les ressortissants de ce pays obtiennent facilement un statut de réfugié en France. Il avait dans sa poche son titre de séjour lorsque son corps a été fouillé.

C’est dans le cadre déjà d’un conflit avec les Russes que l’islam s’est imposé aux Tchétchènes. Á partir du XVIIIesiècle les Russes se lancent à la conquête du Caucase. Les peuples en étaient alors, pour la plupart, païens. La conquête n’a pas été facile, car elle couvre encore plus de la moitié du XIXesiècle. La résistance des peuples, Tchétchènes, Ingouches, Tcherkesses, Abkhazes, Oubykh, a été énergique, et l’effort russe n’a pu être que finalement supérieur pour parvenir à les soumettre. On imagine alors la violence des combats.

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L’anglomanie

L’anglomanie est terrible en France. On estime à mille le nombre de cours qui sont donnés en anglais, et ce, en contradiction avec la loi Fioraso.

Les responsables de ces cours ont simplement la flemme d’aller voir, dans les travaux de la commission de nomenclature, les traductions de termes anglo-saxons dans les domaine des l’économie et de la finance.

Je lis le Monde, et ce journal qui fut un fleuron de la langue française, d’une part accepte toutes les innovations langagières, même celles du plus mauvais goût, d’autre part, souvent de l’anglais, de la série inutile, et toujours sans l’expliciter Comme si, de nos jours, un francophone était ipso facto un anglophone. .

Les 20-21 septembre, il est question des « Batailles homériques pour sauver le cinéma français », on apprend que « la fréquentation des salles reste timide en raison de la pandémie et de l’absence de blockbusters ». Le Je ne sais pas ce que cela veut dire.  Je connais assez bien le français, mais ça ne suffit plus pour comprendre les titres du Monde. Maintenant, pour lire le Monde, j’aurais besoin d’un dictionnaire d’anglais.

Un décret du 30 avril 2020 conditionne l’obtention de la licence scientifique à la simple passation d’une certification en langue anglaise, sans condition d’obtention ou de résultat pour tous les étudiants.

L’article 22.1 dit : « Les étudiants se présentent au moins à une certification en langue anglaise faisant l’objet d’une évaluation externe et étant reconnue au niveau international et par le monde socio-économique » (sic) (extraits du J.O. électronique authentifié). Signé : pour le ministre et par délégation, le chef de service, adjoint de la direction générale B. Lannoud.

Pour qui travaille M. B. Lannoud ?

L’article 1 précise que tout cela est applicable à la rentrée universitaire 2020 pour les étudiants de langues, littérature et civilisation étrangères et régionales ; ceux en langues étrangères appliquées : ceux en lettres, langues et pour les doubles mentions avec une majeure en langue anglaise.

On comprend que des associations, au nombre de quinze, aient déposé un recours c, car a) cet arrêté menace l’indépendance et la gratuité de l’enseignement supérieur, b) porte atteinte au plurilinguisme, et c) ignore les travaux scientifiques réalisés dans le domaine des langues (Communiqué d’Avenir de la Langue Française et de Francophonie Avenir).

Ou : l’anglicisation de la France à marche forcée.

L’hydre antisémite

Un intéressant article par le 28 août dans le Monde, et dû à un jeune sociologue (il est doctorant) porte sur les « antimasques et les théories du complot ». L’auteur a réussi à
interroger huit-cent « antimasques » qui, il est vrai, tendaient à former un groupe sur Facebook. « Majoritairement féminins (60 %), ils ont , en moyenne, une cinquantaine d’années et un niveau d’éducation assez élevé (bac +2) ». Passons sur divers délires (le masque serait, selon ces antimasques, la nouvelle « muselière » imposée par le gouvernement), mais notons ce qui est dit de leur « différentes théories du complot » : « 52 % des individus interrogés croient par exemple, en l’existence d’un « complot sioniste » à l’échelle mondiale, contre « seulement » 22 % des Français, et 56 % adhèrent à la théorie du « grand remplacement », soit plus du double de ce que l’on constate au sein de la population française ».

Ainsi le « complot sioniste » (formulation qui me paraît elle-même quasi pudique, pour ne pas dire « c’est un coup des Juifs », 22 % des Français adhèrent à cette ânerie calomniatrice, soit plus du cinquième, et cela dépasse la moitié des « antimasques ».

Il faut croire de 26 % des Français adhèrent à la théorie du « grand remplacement », soit plus du quart.

Mais notons bien les différences : le « grand remplacement » est, dans le questionnement du sociologue, une question qui ne porte pas sur la cause. C’est un corrélat d’une enquête globale. Autrement dit, le cinquième des Français et la moitié des antimasques ne mettent pas les musulmans parmi les responsables du complot qui a créé le covid-19, mais bien, encore et toujours, les Juifs.

L’antisémistisme, d’origine ecclésiastique, a terriblement marqué la mentalité française (expulsion des Juifs à plusieurs reprises au Moyen-Âge, beaucoup plus tard affaire Dreyfus, attaques racistes contre Léon Blum en 1936, numérus clausus du régime de Pétain…). Et, malgré une longue période de paix en France, malgré l’école, au début du IIIe millénaire, il y a toujours une large partie des Français qui se retrouve pour penser à un complot international des Juifs pour expliquer, là le covid-19, ailleurs une autre difficulté.

Á côté de ce racisme-là, ancré en profondeur, le racisme anti-musulmans ou anti-noir est conjoncturel et superficiel. Il n’intervient pas dans les théories complotistes. Il ne traverse pas l’histoire de France. Il n’est pas né de l’institution ecclésiastique même qui a accompagné la naissance de la France. Et à laquelle 22 % des Français ne parviennent pas à s’arracher.

L’antisémitisme est martelé aux Musulmans. Un récent documentaire sur France Culture, « Mécaniques du complotisme », d’Alexandre Manzanares, expose comment, à la suite de la guerre des Six-Jours, en 1967, dans tous les pays musulmans du Proche-Orient, « les mouvements islamistes encouragent la lecture des Protocoles (des Sages de Sion), et ceux-ci « connaissent des adaptations télévisées pour toucher les milieux populaire. » On sait aujourd’hui, et depuis longtemps, que ces Protocoles sont un faux.

En France est répandue l’idée que « les Juifs sont riches », ce qui leur a valu plusieurs attaques, allant jusqu’à des assassinats (la liste se trouve dans un récent numéro spécial de Charlie Hebdo).

Cet antisémitisme musulman rejoint l’antisémitisme, aussi stupide, qui est inscrit dans la tradition française.