Taïwan n’est pas la Chine, mais une colonie chinoise. Nuance.

Mélenchon l’a écrit (cf. Le Monde, 6 août 2022), le Parti Communiste chinois en est persuadé, Taïwan est une partie de la Chine. Une telle position fait fi de l’histoire, et ne tient pas compte de l’ethnologie.

Située à 168 km. des côtes chinoises, Taïwan est à peine visible du continent. Des navigateurs chinois l’ont certes rencontrée durant l’Antiquité ou le Moyen Âge, et, jugeant de leurs habitants, ils ont appelé le pays Tung Fan, le « pays des Barbares orientaux ». Tout au long de ces époques, Taïwan n’était pas habitée de Chinois, mais d’indigènes de langue austronésienne (ce qui fait d’eux des parents des Malais, des Philippins, des Malgaches, des Polynésiens).

Ce n’est qu’à la fin du XVe siècle que quelques colons chinois s’installent, dans le nord de l’île. Lorsque les Portugais (qui la nomment Formose, la « Belle »), puis les Hollandais, y fondent des comptoirs, les Chinois sont encore très clairsemés sur l’île.

On sait que la Chine représente un État plurimillénaire : née dans la moyenne vallée du Hoang-Ho, la Chine, peut-on dire, y existe depuis près de 6 000 ans. Millénaires pendant lesquels Taïwan n’est pas chinoise, sauf dans les tout derniers siècles.

C’est dans la seconde moitié du XVIIe siècle (sous notre Louis XIV) que les choses commencent à changer. Lutte des forces chinoises contre les pirates (indigènes de l’île), conquête Mandchoue de la Chine qui entraîne un exode et une immigration massive de Chinois à Taïwan. Bientôt les Hollandais sont expulsés, tandis que les paysans chinois, du Fu’kien principalement, occupent progressivement la plaine occidentale. Les indigènes leur opposent une résistance forcenée. Encore à la fin du XIXe siècle, sur les étagères où ces peuples exposaient les têtes coupées d’ennemis dans leurs maisons, il y avait bien des têtes de Chinois.  Ceux-ci avaient pour eux le nombre, qui croissait sans cesse. Et tous les moyens étaient bons pour éliminer les indigènes, toujours appelés Fong Fan, « Hommes barbares », ou « Étrangers barbares » : les Chinois sont allés jusqu’à importer des tigres pour les lâcher dans la partie montagneuse orientale (vers la même époque, les Américains distribuaient des couvertures empoisonnés aux peuples Amérindiens qui continuaient la résistance).

Dès la fin du XIXe siècle, les indigènes sont devenus très minoritaires. On estime alors leur nombre à 20 000, les Chinois dépassant déjà bien plus du million.

Durant toute cette période, l’île n’est pas pleinement une possession chinoise. En 1683,les Mandchous avaient proclamé leur suzeraineté sur l’île, et l’avaient occupée – partiellement, en gros la partie déjà sinisée. En 1895, les Japonais s’emparent de Formose, et ne la quittent qu’en 1945.

La fuite de Tchang-Kaï-Chek, en 1949, s’accompagne d’une importante immigration chinoise. La balance démographique, depuis longtemps défavorable aux indigènes, bascule complètement : aujourd’hui les indigènes représentent, avec 300 000 membres, 2 % de la population totale.

Or, ces peuples indigènes n’en ont pas moins une forte personnalité. Dans les années 1920, deux ethnologues japonais, Sayane Yūkichi et Yoshihisa Ōnishi, parcourent les montagnes et recueillent les mythes des peuples de Taïwan : il en a résulté deux gros volumes, plus tard traduits en français par Alain Rocher (1983). Cela représente un des grands apports ethnologiques de notre époque.

En 1989, la Maison des cultures du Monde a présenté à Paris, à la galerie de Nesle, les cultures sur bois d’un des peuples, les Paiwan : ces peuples n’étaient donc pas que des chasseurs de tête, ils étaient aussi des artistes.

Actuellement, Taïwan est en gros divisée en deux, l’ouest étant une région de plaine ou de pénéplaine, entièrement occupée par des Chinois ; là se situent les villes, là les ports. La partie orientale, au contraire, est montagneuse, et les monts y dépassent 3000 mètres. C’est là qu’on survécu les peuples, qui sont les suivants : dans la partie nord, mais n’atteignant plus la côte, lieu de la capitale, les Saisi et les Atayal ; vers le centre les Thao ; sur la côte orientale, les Ami ; derrière les Ami, les Bunun, les Tsou ; dans la partie sud, les Rukai, les Puyuma, les Paiwan ; et dans l’île de Lanyu, les Yami. Et chacun a sa langue, ses mythes, ses rites, son art.

De nos jours, dans les pays démocratiques, on accorde de plus en plus de respect aux populations indigènes minoritaires (États-Unis et Canada, pays d’Amérique latine). Les autorités de Taïwan paraissent également respecter aujourd’hui leurs minorités, qui ont renoncé à la chasse aux têtes et se développent démographiquement. La Chine, elle, n’a que faire des droits des minorités, comme elle le montre tragiquement au Tibet ou au Sin-Kiang. Mais qu’on le veuille ou non, Taïwan n’est pas une partie du territoire chinois ; c’est une colonie de peuplement chinois en pays de langue austronésienne. Taïwan n’« appartient » pas plus à la Chine que l’Amérique du nord n’appartient à l’Angleterre. Nuance, vous dis-je.