Dans le Monde du 19 juillet de cette année 2023, Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste français, livre son opinion sur la manière dont devrait se terminer la guerre en Ukraine. Or, trois de ses principales assertions sont obsolètes. Je les commente ici, en toute camaraderie, puisque je suis moi-même un électeur, fréquent, du Parti communiste. Les trois assertions à mettre en cause sont a) que l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN est défendue par « des va-t-en-guerre, y compris français, qui souhaitent en découdre avec l’armée russe » ; b) et c) à la place de cela, il faut amener la Russie à la table des négociations, en exigeant d’elle l’évacuation des territoires qu’elle occupe depuis le 24 février 2022, et cette négociation devrait aboutir à un « statut de neutralité pour l’Ukraine, lui apportant toutes les garantis sur sa sécurité et sur sa sécurité dans la cadre d’une protection sous l’égide de l’ONU ».
Pour juger de la pertinence de la proposition a), implique d’en venir d’abord à celle de la proposition b). Quant à la c), elle exprime un point de vue de l’auteur sur un point qui n’est pas secondaire : car ce n’est pas depuis 2022 que la Russie empiète sur le territoire de l’Ukraine, mais depuis 2016, avec le soutien aux « séparatistes » du Donbass. La proposition b) revient donc à exiger de la Russie qu’elle cesse la guerre, revienne à une position territoriale antérieure, et cela permettrait, donc avec son accord, de définir un statut de neutralité pour l’Ukraine. Or, ce point de vue est d’ores et déjà dépassé : dans une déclaration remontant à 1994 (Mémorial de Budapest), renouvelée en 2009, l’Ukraine avait dit renoncer à acquérir un armement nucléaire, pourvu que ses frontières soient garanties ; et elle avait demandé à la France, au Royaume-Uni, aux États-Unis et à la Russie d’approuver et de garantir cette proposition. La Russie, comme les autres États mentionnés, avait accepté. C’est donc en un total parjure que Poutine a attaqué l’Ukraine. L’Ukraine est un pays dont la Russie (de Poutine) avait garanti les frontières. Quel sens cela aurait-il de lui demander maintenant, à titre de négociation de paix, de garantir la neutralité de l’Ukraine (F. Roussel parle d’une protection internationale sous l’égide de l’ONU : la Russie et les autres États mentionnés sont membres de l’ONU) ? S’il en était ainsi, la Russie pourrait à nouveau attaquer l’Ukraine, violant une nouvelle fois – dans dix ans, dans vingt ans…, tant que le chef de l’État sera Poutine ou un poutinoïde -, sans hésitations et sans scrupules, et en toute félonie comme aujourd’hui, un texte qu’elle aurait voté ou signé.
C’est à la lumière de ces faits qu’il faut à présent juger de la première proposition : étant admis que la Russie (de Poutine) se moque comme d’une guigne d’un texte qu’elle a pourtant signé, on voit que ce n’est pas à la table des négociations qu’il faut la mener, mais à la reddition, qui seule garantirait le respect de l’Ukraine – et la paix en Europe. Et pour que reddition il y ait, il faut une aide massive à l’Ukraine qui, seule, n’a pas les moyens de vaincre la Russie. C’est pourquoi les responsables les plus conscients de la situation – et le Président de la République française, implicitement visé dans le texte ci-dessus, en est un – suggèrent que l’Ukraine entrent dans l’OTAN, non pas parce qu’ils sont des va-t-en-guerre, non pas parce qu’ils « souhaitent en découdre avec l’armée russe », mais parce que lorsqu’on a un but, on se donne les moyens de l’atteindre : l’Ukraine ne vaincra pas seule, et l’adhésion à l’OTAN, avec effet rétroactif, lui fournirait les alliés nombreux et puissants qui sont nécessaires pour rétablir la paix par la victoire – seule solution envisageable. Et si cette adhésion se faisait, les responsables de l’OTAN ne partiraient pas, bille en tête, affronter l’armée russe : ils définiraient les règles et les méthodes nécessaires pour aider l’Ukraine, l’affrontement direct avec l’armée russe n’étant qu’une des options. Il ne s’agirait ni d’envahir la Russie, ni d’écraser totalement son armée, mais de repousser la Russie jusqu’à ses frontières occidentales de 2016. C’est là la garantie de l’indépendance et de l’intégrité de l’Ukraine – et leur garantie, par l’adhésion à l’OTAN –, et celle d’une paix durable sur notre continent. On ne peut souhaiter mieux.