Mme Férédique Vidal est l’auteur de récents propos destinés à rallier l’extrême-droite au marcronisme. Ils sont d’une rare bêtise.
Le premier plan de cette stupidité : l’illusion que les sciences humaines se comportent comme les sciences « à expériences ». Lorsqu’elle dit qu’il faudrait vérifier si l’on constate des résultats dans la recherche universitaire qui vont au-delà de ce qu’ils aurait dû être selon le protocole, et qu’on repérerait ainsi les idéologues islamo-gauchistes, elle fait une lourde confusion : dans les sciences « à expériences » les résultats sont mesurables. De la sorte, s’il y a volonté maligne, cela se voit rapidement, puisque l’expérience peut être reprise ailleurs et vérifiée. Dans les sciences « sans expérience », ce que sont les sciences humaines (histoire, géographie, linguistique, philologie, philosophie, ethnologie, sociologie, préhistoire…), une telle démarche est radicalement impossible, et les « résultats » dépendent d’une telle variété de paramètres qu’y « mesurer l’idéologie » est un rêve… un rêve de scientiste.
La même ministre a déclaré que ce serait le CNRS qui devrait vérifier l’influence des thèses islamo-gauchistes dans l’Université. C’est bien là un seconde niveau de bêtise. D’abord parce que voir dans le CNRS une police idéologique de l’Université est un non sens – les personnels de l’université et du CNRS sont bien semblables, et ont des niveaux d’études analogues. Ensuite parce que le CNRs ne se sent nullement une vocation de policier des idées. En faisant cette proposition, Mme Vidal envisage tout simplement de poser comme rivaux CNRS et Université. Ce qu’ils ne sont pas, ce qu’il n’ont pas à être, et la recherche française ne pourrait qu’en souffrir. Elle n’a pas besoin de ça.
Le troisième niveau de bêtise est le suivant. Il est la généralisation de l’appellation d' »islamo-gauchisme » à quantité d’attitudes différentes. La droite imagine difficilement qu’on puisse respecter les Musulmans. Dès lors, toute attitude de respect envers les Musulmans peut être taxée d' »islamo-gauchisme », alors qu’il s’agit évidemment d’autre chose. La ministre flatte la droite en adoptant son point de vue.
Or, ces attitudes qualifiées à tort d' »islamo-gauchistes » sont tout aussi fréquentes au CNRS qu’à l’université. Alors, qui doit enquêter sur qui ?
L’islamo-gauchisme existe. Je l’ai rappeler dans un autre article de ce blog, où j’exposait que c’était avant tout l’attitude d’un parti politique français : le NPA, « Nouveau parti anticapitaliste », ex. Ligue communiste révolutionnaire.
Il est exact qu’il n’est plus le seul. Rappelons ici comment les communistes ont perdu Saint-Denis aux dernières élections municipales. Au premier tour arrive en tête la liste socialiste, suivi par les listes PC et France Insoumise. La voix de la raison amère les deux dernières listes à s’unir. L’accord programmatique est rapidement fait, il est question ensuite de panacher les listes. Les communistes disent à leurs partenaires de la France Insoumise qu’un individu, musulman, ambigu, ne peut figurer sur la liste commune. La France Insoumise, en ses plus hautes niveaux, refuse. Les deux listes sont donc allées séparément en deuxième tour, et c’est la liste socialiste qui a emporté la mise. On est en plein, là, dans l’islamo-gauchisme. Mais on est très loin de l’Université.
Enfin, même les exemples de son propos fournis par Mme Vidal sont lamentables. Lorsqu’elle veut montrer combien l’université est gangrenée par l’islamo-gauchisme, elle cite un cas, lillois et universitaire, un texte de Charb a été proposé à l’étude puis rejeté ; et un cas parisien, où une représentation de Suppliantes en Sorbonne a été empêchée.
Dans ce dernier cas, qui a empêché la représentation ? Des universitaires ? aucunement : c’était les militants d’un groupe, le CRAN (Conseil représentatif des associations noires), ni gauchiste, ni islamique, et non formé d’universitaires. Dans cet exemple, que cite explicitement la ministre, l’Université n’était pas responsable de ce qui lui arrivait, elle était victime. Ainsi, sur deux « cas » que cite Mme Vidal, l’un des deux prouve le contraire : il n’est en rien dû aux islamo-gauchistes, et en rien à des universitaires.
Madame le Ministre est sous-informée. Plus généralement, Madame le Ministre dit n’importe quoi.
P S : selon un récent sondage, une majorité de Français soutient les propos de la Ministre. Ce qui est dramatique, ce n’est pas le résultat du sondage, ce sont les questions. On a donc demandé à des gens qui ne savent pas ce que c’est qu’on appelle islamo-gauchiste et qui, en leur très grande majorité, ignorent tout du fonctionnement universitaire, s’ils approuvent les propos de la Ministre sur l’islamo-gauchisme à l’Université. Sûrement qu’ils donnaient un avis autorisé…