Le mythe de l’antisémitisme de LFI

Il est couramment pensé, à droite, parfois à gauche, et dans la plupart des milieux juifs – que LFI (La France Insoumise) est un parti antisémite.

Rappelons le processus. Du fait des maladresses – ou fautes politiques – de LFI – telles sa non-participation à la manifestation contre l’antisémitisme en novembre 2023 , le communiqué qui a suivi, plus tard l’image soi-disant faite par « intelligence artificielle » de Cyril Hanouna et qui rappelait l’imagerie nazie du Juif, les violences verbales contre Jérôme Guedj – jamais traité de Juif, cependant -, ce à quoi s’ajoute le soutien affiché de LFI à la Palestine, quand ce n’est pas au Hamas, avec condamnation radicale de l’Etat d’Israël, lequel est d’ailleurs défini comme un Etat colonial – tout le pays sensible à ces questions a été choqué. Si, à gauche, on se désespérait des choix de LFI (choix purement électoraux, du reste : il y a peu, Mélenchon ignorait tout de la situation au Proche-Orient, au moins autant que Guy Mollet ignorait tout de l’Algérie lorsqu’il devient Président du conseil des ministres après avoir gagné les élections législatives sur le slogan « Paix en Algérie » ; on sait la suite ; Mélenchon n’a pas gagné d’élection, mais il espère en gagner, en profitant les voix des cités ; c’est la seule raison de son pro-palestinisme, mais il est toutefois possible que bien des cadres de LFI aient été sincèrement touchés des souffrances des Gazaouis), à gauche, disais-je, on ne percevait pas en cela une attitude antisémite et on ne pouvait faire l’impasse sur un parti qui a acquis un tel poids sur l’échiquier politique ; les choses se sont développées bien davantage à droite, où la solidarité avec LFI n’existe évidemment pas, et où les positions de ce parti, incomprises, ont commencé à évoquer l’antisémitisme. La tendance trouve sa concrétisation lors de la rapide campagne électorale pour les législatives au début de l’été 2024. Alors – et pour des raisons électorales – affaiblir LFI et, par là, la gauche – une large partie de la presse de droite entame une campagne pour dénoncer l’antisémitisme chez LFI. Entre autres paraissent dans la période deux articles dont les auteurs, indépendamment l’un de l’autre, mais  saisis identiquement par l’ambiance, écrivent en toutes lettres que Mélenchon a tenu des propos antisémites.  Mélenchon, sachant que ce n’était nullement le cas, porte plainte contre les deux journalistes. On imagine bien que ceux-ci ont alors mobilisé des services de documentation de leurs organes de presse respectifs, et que l’ensemble des articles, interviews, discours de Mélenchon ont été épluchés. En vain.  Rien n’a été trouvé, et Mélenchon a gagné les deux procès.

Soyons clair : à l’été 2024, il était impossible de trouver des déclarations antisémites sous la plume du leader de LFI (les paroles qu’il avait prononcées (en 2020) en disant que Jésus avait été crucifié par ses compatriotes n’avaient pas été retenues, on le comprend, lors des jugements sur les articles cités).

Question : y a-t-il eu, depuis l’été 2024, depuis ces deux procès, des paroles antisémites de la part de Mélenchon ?

Evidemment non. Je suis en contact avec des gens (principalement de Vigilance Université) qui sont à l’affût (tellement ils sont persuadés que LFI est antisémite, et il leur faut bien alimenter leur opinion), et le moindre écart serait signalé.

Tout récemment, un autre jugement a été rendu à la suite de l’accusation d’antisémitisme de LFI, et cette fois le juge a été plus laxiste que les précédents : le « philosophe » Raphaël Enthoven proclame à qui veut l’entendre que LFI est antisémite (dans un texte publié sur le réseau social X : « La France insoumise est un mouvement détestable, violent, complotiste, antisémite. Et ils sont tellement cons… On n’en peut plus de ce club de déficients ») ; contre ces termes outranciers, LFI a porté plainte. Mais le juge a estimé qu’il « n’a pas excédé les limites admissible de la liberté d’expression » (Le Monde, 8 novembre 2023, p. 13). Il est déplorable de poser le problème dans ces termes-ci. Mais surtout, l’accusation d’antisémitisme est lourde. En effet, si je traite quelqu’un d’antisémite,  l’accusation porte sur deux plans : d’une part je le traite de raciste (je l’accuse de considérer les Juifs comme une population inférieure, tandis que lui se considère membre d’une population supérieure) ; d’autre part, « antisémite » signifie que je range cette personne parmi l’immense quantité des antisémites qui, dans le domaine islamo-chrétien, depuis 1300 ans (VIIe siècle : élimination des Juifs d’Arabie, cf. Sara Yoheded Rigler, « Le destin tragique des Juifs d’Arabie », 2017, accessible en ligne) ont multiplié les horreurs à l’égard des Juifs. Dès lors, on ne peut pas traiter impunément quelqu’un d’antisémite, et ce terme ne peut pas figurer dans un débat politique reposant sur la liberté d’expression. Le tribunal devait condamner M. Enthoven.

D’autant que celui-ci est manifestement submergé par la passion lorsqu’il est question de LFI, et son propre jugement en est perturbé, transformant des affrontements politiques en accident avec des racistes. Il n’est alors plus du tout philosophe. Tout commence (a-t-il expliqué au tribunal) quand  Raphaël Glucksmann se fait agresser, puis exfiltrer, à la manifestation du 1er mai 2024 à Saint-Etienne (action qui est d’ailleurs une honte : la manifestation du 1er mai est par définition unitaire) ; l’incident a pour auteurs des pro-palestiniens, et l’éviction de Glucksmann de la manif a évidemment une origine politique (on lui a crié : « Casse-toi, Palestine vivra » : pas la moindre injure raciale). Il y avait parmi eux un membre de LFI, qui a bien assuré avoir agi à titre individuel, et on sait que le torchon brûle entre Glucksmann et beaucoup d’autres Socialistes et LFI. Pourtant Enthoven lit l’évènement comme un acte antisémite (eh bien non : si je me dispute avec mon voisin, et que ce voisin est juif, je ne suis pas antisémite pour autant). On observera que le 1er mai est très peu de temps avant la campagne pour les législatives et le déchaînement de la presse de droite sur l’antisémitisme de LFI.  Enthoven a donc pu subir d’autres influences que son interprétation de l’incident de Saint-Etienne.

Lors du procès – intenté par LFI, à juste titre – le « philosophe » invoque, à charge, le fait que Mélenchon a déclaré, le 2 juin 2024, que l’antisémitisme reste résiduel en France. J’aurais pu faire le même constat, jusqu’à l’attentat du 7 octobre 2023 : Jean-Luc Mélenchon et moi avons des âges voisins, et tout comme lui je voyais l‘antisémitisme comme en net recul en France. La montée de l’antisémitisme qui s’observe après le 7 octobre 2023 est à étudier : et ce n’est certes pas en accusant LFI de tous les maux qu’on avancera dans l’explication. Pour le « philosophe », le propos de Mélenchon est  une attaque antisémite : surinterprétation. Et, à l’issue de son procès, il exulte : La France insoumise est un « mouvement passionnément antisémite », c’est le « premier parti antisémite de France ».

Hélas ! Que c’est intelligent de traiter un parti d’où n’est sorti et d’où ne sort aucun propos mettant en cause les Juifs, dont aucun membre n’a jamais molesté une personne parce qu’elle était juive (on a parlé du triste événement de Saint-Etienne, où ne se manifestait aucun antisémitisme). L’accusation en question repose uniquement sur une interprétation : le soutien de LFI à la Palestine est ressenti comme une menace contre les Juifs et contre Israël. Alors qu’il s’agit uniquement d’une manœuvre politique à portée interne (bien sûr, la confusion entre antisémite et antisioniste est aussi une surinterprétation : le premier est de l’ordre du racisme, le second du choix politique ; on ne saurait nier que l’antisionisme peut être parfois le paravent d’un antisémitisme : mais ce n’est assurément pas le cas majoritaire, et il serait déplorable, et malsain, qu’on généralise l’affirmation que tout antisionisme cache un antisémitisme ; il est catastrophique que le Président de la République appuie cet amalgame).

De même repose sur l’amalgame bon nombre d’études  consacrées à l’antisémitisme supposé de LFI. Les livres récents de Richard Malka (dont sa plaidoirie pour R. Enthoven, publiée il y quelques jours chez Grasset) repose sur ce mécanisme. Je ne donne qu’un exemple, car on pourrait citer les livres entièrement : il rappelle l’agression contre Raphaël  Glucksmann (ci-dessus) et enchaîne aussitôt : Glucksmann « précise avoir reçu des milliers de messages antisémites au cours de sa campagne ». Et voilà : une agression qui était de sens politique est immédiatement mise en relation avec des messages raciaux. Or, rien ne prouve qu’un seul de ces messages racistes ait été envoyé par un membre de LFI. Néanmoins, Maître Malka bâtit sa plaidoirie sur ce genre de rapprochements et de confusions.

On ne sera pas naïf pour autant. L’antisémitisme de gauche a existé, et Michel Dreyfus l’a magistralement exposé (L’antisémitisme à gauche : du début du XXe siècle à nos jours, un mythe et des réalités, Paris, La Découverte, 2011). Mélenchon et le Parti de Gauche ne sont pas mentionnés dans l’ouvrage. Supposons qu’en 2100 par exemple, un auteur envisage de traiter le même sujet. Sur LFI, il aura environ deux lignes à écrire : « Un parti de gauche, La France Insoumise, a fait l’objet, dans années 2024-2026, d’accusations d’antisémitisme. L’étude des documents issus de ce parti  ne confirme aucunement cette allégation ».

Une autre naïveté serait de dire que les gens de la France insoumise sont devenus prudents, en raison des lois qui proscrivent en France le racisme. Tant il est évident que si les auteurs de textes de LFI, y compris ceux de ses candidats aux élections municipales ou législatives, étaient antisémites, cela sourdrait mille fois, avec toutes les ruses pour échapper aux foudres de la loi. Lorsque des journalistes ont la curiosité de creuser la carrière de candidats aux élections de gens du Rassemblement national, il est courant qu’on découvre qu’ils avaient antérieurement rédigés des textes racistes et antisémites : avec LFI, jamais.

Jean-Luc Mélenchon et les cadres, les candidats du parti LFI n’ont pas prononcé ou écrit une seule parole antisémite. L’accusation qui leur est faite d’antisémitisme ne repose que sur une série d’interprétations malveillantes, visant à nuire au mouvement de gauche le plus important par sa capacité de mobilisation, son poids et son programme, en somme par sa force. Mais, dirais-je,  il serait bien que LFI y mette du sien. Comme l’ont écrit Pablo Pillard-Vivien et Catherine Tricot dans Regards du 18 novembre dernier, il est nécessaire que la direction de LFI mesure la force de l’intox qui la vise, et qu’elle publie au moins une mise au point sur cette question, et peut-être qu’elle entreprenne de traiter la question au fond – par des conférences, des réunions, des publications.  Il faudrait également qu’elle opère le ménage. Il est certain qu’un Julien Théry  lui cause un immense tort en dénonçant des Juifs français comme « génocidaires », ou en multipliant des réflexions anti-juives (il  réclame le retour de Dieudonné sur la scène, et va jusqu’à citer des négationnistes !, et d’autres des députés poussent si loin leur anti-israëlisme qu’ils choquent inutilement les Juifs français : si LFI n’opère pas le ménage à leur sujet, qu’au moins elle les contrôle !). Au lieu de le défendre, comme elle le fait encore, la France Insoumise devrait se détacher d’un Julien Théry, d’ailleurs mis à la retraite par son Université. En opérant ces différentes révisions, LFI rendrait ainsi un immense service à la gauche, et à la France.