Le Royaume-Uni ne fait plus partie de l’Union européenne. De ce fait, l’anglais n’est plus l’une des grandes langues européennes. Seule la République d’Irlande (5 millions d’habitants) demeure désormais un État de langue anglaise dans l’Union européenne – et encore,
ce n’est pas sa seule langue officielle, l’autre étant le gaélique, et c’est d’ailleurs celle-ci qu’elle a choisie comme langue de communication avec l’Union européenne. Dès lors, officiellement, il n’y a plus de nation locutrice de l’anglais dans l’Union européenne.
Pas plus que Louise Mushikiwabo, dans une contribution au débat sur l’aspect linguistique du Brexit, dans le Mondedu 7 février, je ne souhaite « la guerre des langues ». Il faut toutefois tirer un certain nombre de conséquences de bon sens de la situation nouvelle.
Le départ du Royaume Uni fait ipso factoperdre à l’anglais son statut de langue de travail de l’Union européenne. Car il n’est plus, ni l’une des principales langues européennes, ni même une de ses langues officielles.
Comme le souligne l’article cité, il y a en cela une occasion unique d’un rééquilibrage des langues en Europe – et pas seulement au bénéfice du français. Si l’on tient par exemple à ce que l’Europe dispose de trois langues de travail, l’anglais en ayant disparu, il conviendrait de proposer comme troisième langue (à côté du français et de l’allemand) une des langues d’un des grands pays européens : l’Italie, l’Espagne, peuvent assurément se mettre sur les rangs.
Autre conséquence : si c’est de longue date que la France, dont la langue est donc l’une des (ex) trois langues de travail européennes, aurait dû refuser tout texte de provenance européenne rédigé en anglais, la chose est possible plus aisément maintenant, puisque l’emploi de la langue d’un pays qui ne fait plus partie de l’Europe unie est désormais un non sens. La France, la Belgique, et également l’Allemagne, l’Autriche, sont désormais en mesure d’exiger que les documents qui leur sont transmis en provenance des instances européennes soient rédigées dans leurs langues.
La conséquence au second degré de pareils « rééquilibrages » est certes un risque de cacophonie. Le « presque tout anglais » (90 % des textes fournis par les institutions européennes) avait l’avantage d’une « langue commune », la même d’ailleurs que dans le tourisme, l’économie et dans un certain nombre de sciences (signalons à ce sujet que les sciences humaines échappent largement à cette généralisation de l’anglais, et ne s’en portent pas plus mal). Enregistrant cet état de fait, des sirènes nous susurrent ces temps-ci qu’il faut garder l’anglais dans la communication européenne car il est une langue « neutre », et, encore, qu’elle est « l’espéranto du monde contemporain ».
A ces sirènes, Ulysse a de quoi répondre. Une langue qui est celle de l’archipel britannique, des Etats-Unis et de la plus grande partie du Canada, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, d’une bonne partie de l’Afrique et des archipels du Pacifique, une telle langue ne peut aucunement être « neutre ». Elle est extrêmement puissante, et par sa force de diffusion elle menace toutes les autres langues de la terre de les transformer en langues régionales.
Concernant la seconde assertion, on soulignera d’abord que l’espéranto, le vrai, a sur l’anglais un immense avantage, qui est de n’être la langue d’aucun État, partant d’aucune puissance. Et, concernant la communication en Europe, d’aucuns peuvent préférer l’original à sa copie.
On voit alors que de vastes horizons sont ouverts à l’Europe unie par le départ britannique : retour au multilinguisme ; promotion de la langue d’un des autres pays fondateurs ; et, pourquoi pas, adoption, pour communiquer intra-Europe, de la langue internationale véritablement « neutre » et égalitaire. Voici des chances à saisir. L’échec, dans notre relation avec le Royaume-Unis, peut être l’occasion d’un véritable renouveau. .
Bernard Sergent est membre d’Avenir de la langue française, président de la Société de mythologie française, chercheur honoraire au CNRS.