Ce ne sont pas les Australiens ! En effet, la proximité des langues australiennes est grande, un peu de l’ordre de la proximité des langues indo-européennes. Ces dernières ont commencé à diverger vers – 4500, et cet ordre de grandeur doit être celui également de la divergence des langues australiennes. Il s’ensuit qu’il y a quelque 7 000 ans, les langues australiennes se ramenaient à une seule, parlée par un unique peuple, lequel n’occupait évidemment pas un territoire gigantesque. Ce territoire pouvait être un petit secteur de l’Australie, ou d’un des territoires par où ces hommes pénétrèrent dans le continent australien.
Dans ces conditions, les divers artefacts découverts en plusieurs endroits de l’Australie et datés de 40 000 ans ou plus (Makatunanga, lac Mungo, Keilor…) ne peuvent avoir été ceux d’une population australienne, car, si la dispersion des Australiens remontait à cette époque, la divergence de leurs langues serait infiniment plus grande (leur ancienneté, et donc leur divergence, augmenterait selon un facteur 10). C’est impossible. Les outils des sites évoqués appartenaient à d’autres.
Quels autres ? On peut faire raisonnablement une hypothèse. L’île de Tasmanie se situe au sud-est de l’Australie. Autrement dit, pour des populations originaires d’Asie (ce que sont toutes celles du Pacifique), on ne peut avoir accès à la Tasmanie qu’en traversant l’Australie. On connaît mal les Tasmaniens indigènes, génocidés par les Anglais au XIXesiècle. Mais on sait que c’était une population physiquement différente des Australiens, et que leur langue n’avait rien à voir avec les langues australiennes. Traditionnellement, on la rattachait, faute de mieux, aux langues mélanésiennes. En 1971, Joseph Greenberg a noté que le vocabulaire tasmanien, seul partiellement connu, offrait des ressemblances d’une part avec des langues Papous, d’autre part avec les langues des îles Andamans (« The Indo-Pacific Hypothesis », inThomas A. Sebeok dir., Current Trends in Linguistics, 8 , La Haye, Mouton). Les Tasmaniens étaient de petite taille, les Andamans sont des populations « Negritos », et certaines populations de Nouvelle-Guinée le sont également (certes, Roger Blench, qui a écrit avec Mark Post, The Languages of the Tasmanians and their Relation to the Peopling of Australia : Sensible and Wild Théories, 2008, a critiqué Greenberg, car… les langues sont peu connues – mais lui-même cherche leurs relations avec celles d’Australie !, et il accusent Greenberg, qui déjà notait qu’il y a plusieurs peuples de petite taille dans les rapports entrevus, d’avoir des idées racistes. C’est absurde : ces peuples qu’on appelle « Négritos » existent, et, pour ne pas être « raciste », il faudrait dès lors éviter coûte que coûte d’en parler, de comparer leurs langues, d’oser voire des rapports entre elles : ce sont là des balivernes).
La colonisation de la Tasmanie commence vers – 30 000. Les hommes d’alors ont dû profiter de la baisse du niveau de la mer survenu entre – 36 000 et – 29 000 (Richard Cosgraves, dans Science, 243, 1706, 1989).
Ces gens-là pouvaient donc être arrivé en Australie vers – 45 000 ou 50 000, l’avoir progressivement occupé, et être passé, à pieds secs, en Tasmanie vingt-mille ans plus tard.
Dès lors, les Australiens sont moins que jamais « Aborigènes » !
(Un grand merci à Thierry d’Amato, pour m’avoir faire remarquer la proximité des langues indigènes d’Australie, et son implication chronologique)