Dans mon livre Une antique migration amérindienne (Paris, L’Harmattan, 2014) , j’ai à plusieurs reprises signalé que des peuples situés aux pieds des Andes, côté Amazonie, présentaient des points communs avec les peuples du Chaco – situés à des milliers de kilomètres de là. De son côté, Erland Nordenskiöld avait signalé à plusieurs reprises que des objets qu’il découvrait communs à l’Amérique du Nord et au Chaco avaient aussi une attestation andine.
J’ai interprété cela de la manière suivante : parvenant en Amérique du sud, les futurs Chaquenses ont pris la route des hauts plateaux andins. Comme ils ont toujours laissé des membres de la même migration là où elle passait, on a là l’origine des parallèles anciens à des objets communs à l’Amérique du Nord et au Chaco. Dès lors, les peuples situés au pied des Andes et offrant les mêmes corrélations sont sans doute des représentants de cette même migration qui, à un moment ou à un autre, ont quitté les plateaux pour les basses vallées. Il est bien possible que ce mouvement, qui paraît avoir été général, ait correspondu à l’arrivée sur ces mêmes plateaux d’une nouvelle population, des milliers d’années après la migration précédente, celle-là même qui est est l’ancêtre des populations présentes à l’arrivée des envahisseurs européens.
Je n’avais guère parlé alors des Yurukaré, sinon pour signaler, avec Nordenskiöld, qu’ils offrent des points précis, dans leur culture matérielle, avec les Chaquenses : le panier fait de matière végétale, et un types de flûte plate, sphérique, en bois. Or, ces objets manquent plus au nord, et également à travers toute l’Amazonie.
Or, ce n’est pas tout. Les Yurukaré ont un point commun mythologique précis avec une peuple du Chaco, les Toba. Ils racontent en effet que, dans un secteur le plus éloigné possible de leur pays, vit un être immortel nommé Aymashunnye, brillant comme le feu, en fait quasiment un dieu-feu. De temps en temps, Aymashunnye sort de son refuge, et lance sur le monde un feu d’ampleur cosmique. Ce feu anéantit le monde et la population. Après quoi, un passage ménagé dans la terre permet à une nouvelle population d’émerger de la terre. Les Yurukaré sont de tels « nouveaux » venus.
Dans la vision du monde des Toba, aux horizons du monde se trouve une sorte de barre de feu, faite de de flammes gigantesques. On ne la voit pas. Mais il est arrivé que cette barre de feu s’avance, submerge le monde, le brûle entièrement. Dans différentes versions Toba du feu cosmique, ceux-ci creusent de grands trous dans la terre, et s’y cachent pendant que l’incendie fart rage au-dessus d’eux. Lorsqu’il est terminé, ils sortent du trou, et refont la civilisation. Mais dans certaines versions, c’est bien après l’incendie universel que les hommes sortirent de l’intérieur de la terre.
Il n’est pas besoin d’insister sur la communauté de penser des Yurukaré et des Toba au sujet du feu, qui chez les uns et les autres se conjoint au mythe de l’émergence.
Les Yurukaré n’ont que deux objets en commun avec le Chaco, tandis que le Chaco offre environ soixante-dix objets en commun avec l’Amérique du nord orientale.
Je confirme donc : les Yurukaré sont des témoins de l’antique migration qui mena les Chaquenses sur leurs territoires historiques. C’est apparemment l’avant-garde la migration qui conservait le plus l’outillage technique issu de l’Amérique du nord. Les Yurukaré n’en ont plus qu’une petite partie. Mais ils ont un magnifique mythe qui n’a de parallèle, à ma connaissance, que chez un peuple du Chaco.