La « science romaine » est bien un oxymore

Deux livres récents abordent la question de la science romaine. Le premier, en français, est dû à Claudia Moatti et s’intitule La Raison à Rome. Naissance de l’esprit critique à la fin de la République (Paris, Le Seuil, 1997). Le second, en anglais, aborde plus crûment la question d’une science romaine. Il est dû à Daryn Lehoux et s’intitule What Did the Roman Know ? An Inquiry into Science and Wordmaking(University of Chicago Press, 2012)

La question est alors : comment parler d’une science romaine, en l’absence de toute forme de production scientifique ?

La position de Claudia Moatti est simple : avec Cicéron, puis Sénèque, se met en place à Rome une rationalité qui, on le lui accordera sans hésitation, ne doit rien à la Grèce (encore Cicéron était-il imbu de littérature grecque, et toute l’élite romaine de son époque parlait le grec [1]). Mais elle ne cherche pas à prouver que cette rationalité a été créatrice de science. Le plus « scientifique » des Romains de cette époque, Pline dit l’Ancien, accomplit une œuvre prodigieuse, mais qui est celle d’un compilateur, et qui compile maladroitement, en multipliant les erreurs.

Le livre de D. Lehoux aborde explicitement la question de la science romaine. Où la trouve-t-il ?

Je n’ai pas lu le livre, et je me fonde sur le compte rendu qu’en a fait un professeur d’histoire des sciences à l’École normale supérieure de Paris, Stéphane Van Damme [2]. Lehoux tient aussi à écarter l’influence grecque, et pourtant, lorsqu’il veut étudier la science romaine ; « il relit les œuvres de Galien, Ptolémée, Lucrèce » ou Sénèque.

Soit, mais alors :

Qui est Galien ? C’est un médecin, Grec de Pergame. L’école de médecine de Pergame, ancienne, dépendait en ses origines de l’école hippocratique, laquelle remontait, sur la côte d’Asie mineure, au Vesiècle avant notre ère. Non seulement Galien écrit en grec, mais toute sa science est grecque.

Et qui est Ptolémée ? Lorsque, au IIesiècle de notre ère, il rédige sa prodigieuse Géographie, il utilise pour situer les localités innombrables qu’il cite un système de coordonnées géographiques mis au point dans la Grèce hellénistique.

Si telle est la science « romaine », on se demandera s’il existe un seul savantromain. Entendons par là un homme dont l’œuvre a innové dans un domaine de la connaissance (la médecine, l’astronomie, la géographie, les mathématiques, la botanique, la zoologie…).  Jusqu’à nouvel ordre, je n’en connais pas.

Comme l’écrit Lucio Russo, « Rome a emprunté ce dont elle était capable aux Grecs, elle l’a gardé un petit moment , mais n’a créé elle-même que bien peu de science » [3].

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[1]Cf. Florence Dupont et Emmanuelle Valette-Cagnac dir ., Façons de parler grec à Rome, Paris, Belin, 2015 ; Bernard Sergent, Notre grec de tous les jours, Paris, imago, 2017).

[2]Le Monde,  du 5 mai 2021.

[3]The Forgotten Revolution. How Science Was Born in 300 BC and Why It Had to Be Reborn, Heidelberg, Spinger, 2004 – livre que toute personne qu’il s’intéresse à l’histoire des sciences devrait avoir lu.